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Nathalie Grandjean, docteure en philosophie, enseignante en philosophie féministe et du genre au sein du Master genre

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    Metaxu
  • 30 déc. 2023
  • 13 min de lecture

Dernière mise à jour : 31 déc. 2023





De l'invisibilité des femmes en philosophie et de la minoration du féminin

Metaxu : Pourrais-tu nous présenter ton parcours ?

N. G. : Je m'appelle Nathalie Grandjean, j'ai 44 ans, je suis docteure en philosophie. J'ai fait une thèse sur Donna Haraway, et mes centres d'intérêt sont assez larges en fait en philosophie. Je m'intéresse plus à des problèmes qu'à des courants historiques en philosophie. Les types de problèmes qui m'intéressent sont les questions féministes et de genre, les questions d'humanité environnementale et d'écologie. Et les questions numériques, qui sont des questions sur lesquelles j'ai travaillé pendant longtemps à l'Université de Namur, dans laquelle j'ai fait ma thèse, et à présent je travaille à l’Université de Louvain, site Saint-Louis. Et je travaille comme chargée de recherche FNRS avec Bénédicte Zitouni. Voilà, ça c'est pour me présenter.

 

Alors, il se fait que quand j'étais à Namur, j'ai eu l'opportunité de participer au montage du Master interuniversitaire en études de genre, dans lequel je donne un cours qui s'appelle Philosophie féministe et de genre. Dans ce cours, je commence par parler de l'absence des femmes en philosophie et je pense que toutes les personnes qui s'inscrivent en philosophie ont, à un moment, envie de faire de remarquer qu'en fait les auteurs dont on nous parle sont majoritairement des hommes, d'il y a très longtemps. C'est vrai qu'en philosophie, comme on a coutume de le dire entre collègues, nous travaillons avec les morts, et surtout des gens très très vieux. Et il est vrai, que l'absence des femmes en philosophie et, en particulier au 20e siècle – alors qu'elles existent - est particulièrement criante.

 

Je me suis donc intéressée à cela, pour plusieurs raisons. D'abord parce qu’à un moment, j'ai fait une espèce de coming out féministe. Une espèce de révélation féministe que les combats étaient toujours à mener, pour toute une série de raisons. Évidemment, à la fois personnelles, mais aussi professionnelles. C'est quelque chose dans lequel je suis engagée d'ailleurs, je fais partie de Sophia, le réseau belge des études de genre. Et d’autre part, ce qui m'a intéressée, autant finalement que les questions personnelles et professionnelles d'engagement féministe, c'est le fait que la perspective féministe, un regard, une approche féministe, permet quand même de relire une histoire de la philosophie, et surtout de réengager les canons de la philosophie à raconter une autre histoire. Et ça, c’est vraiment je dirais ce qui m''intéresse encore, plus que simplement des questions « simplement » de « comment, en tant que féministe je peux continuer à faire de la philosophie ».

 

Donc, pour me redéfinir : je suis pas simplement une philosophe, une philosophe et féministe mais je suis une philosophe qui cherche à faire de la philosophie féministe. Pas que ça, mais ça en particulier, c'est-à-dire que relire, en tout cas, s'emparer à la fois des questions philosophiques, mais aussi du corpus et du canon philosophique avec une perspective féministe.


Une perspective féministe

Quand je dis « une perspective féministe » qu'est-ce que j'entends par là ? C'est-à-dire une conscience que l'incorporation, en tout cas la qualité d'être une femme n'est pas un donné mais est aussi une construction sociale et qu'elle enjoint à un geste critique qui est le geste critique des sciences humaines et sociales, mais aussi de la philosophie : à déconstruire un certain nombre d'implicites, d’évidences implicites.

 

Ça, c’est une première chose, mais aussi que cette première chose, donc cette espèce de conscience de la construction sociale d'être une femme et le fait que l'oubli des femmes dans la philosophie est quelque chose du coup qui contribue à embarquer un certain nombre de biais, ou de ou de positionnements, et, deuxième chose c'est qu’avoir une perspective féministe, c'est aussi viser évidemment la question de l'émancipation.


Et l'émancipation est une question purement politique évidemment qui s'inscrit dans une histoire occidentale, peut-être dans d'autres histoires, mais en tout cas, en particulier dans l'histoire occidentale ici, puisque la philosophie qu'on étudie à l'université est une philosophie occidentale. Elle permet effectivement de fabriquer des outils pour penser l'émancipation et pas simplement des outils pour comprendre les dominations. Il y a un double pan dans ce qu'on peut faire en philosophie féministe.

 

La valence différentielle des sexes

Bon, je suis en train de me présenter et me voilà déjà occupée à faire de la philosophie féministe. Mais donc, cette partition du réel, ou des pratiques, c'est ce que les anthropologues, l'anthropologue Françoise Héritier, appelle la « valence différentielle des sexes », c'est-à-dire que vont forcément être attribuées au féminin des choses mineures, et au masculin des choses majeures. C'est-à-dire qu’on a du valorisé, et du moins valorisé.

 

Il est vrai qu’on reçoit, en fait, assez peu d'éducation féministe. Et quand on le découvre par soi-même, il y a toujours quelque chose d'extrêmement difficile et de décevant, puisqu'on nous raconte plutôt souvent que c’est l'égalité, la démocratie, etc. C’est quand même toujours un peu une douche froide de se rendre compte qu'en fait, l’égalité n'est peut-être pas la même pour tout le monde, qu’elle est un peu une sorte d’égalité à géométrie variable.


De l'invisibilisation des femmes en philosophie 

On peut alors faire un écho avec la philosophie donc j'ai déjà parlé ici, des perspectives : comment peut-on faire de la philosophie féministe ? Ce qui est sûr, c'est qu'en philosophie, il y a peu de femmes. Alors quand on a un cours de philosophie, souvent on a un cours d'histoire de la philosophie. Très souvent, on commence par Platon, Aristote, et on essaie d'arriver au XXe, XXIe siècle où, souvent, on essaie de voir Hannah Arendt - si on a le temps. En tout cas, moi, je me souviens qu'on arrivait toujours un peu juste et qu’on n’avait pas toujours forcément le temps d'y arriver.


Du canon 

Quoi qu'il en soit, on voit quand même pratiquement toujours des hommes, et les hommes sont ceux qui font le canon. À la fois parce qu'ils habitent le canon, mais aussi parce qu'ils ont fabriqué le canon. Et Ils continuent. Aujourd’hui, dans les facultés, les départements de philosophie, il est intéressant de voir que les hommes restent majoritaires, en tout cas en Belgique francophone. Il faut juste aller voir un petit peu, regarder qui compose les départements… Bref, cela reste une discipline d'homme, quoi.

 

Françoise Collin

Il y a pourtant toute une série de femmes durant cette époque, et en particulier durant la deuxième vague, notamment Françoise Collin, qui est une philosophe féministe belge, née en 1828, morte en 2012 et qui, à partir des Cahiers du Griff qu'elle a fondé en 1973 avec Hedwige Peemans-Poullet, Jacqueline Aubenas et d'autres, (qui était la femme de Jacques Tamignaux, un éminent philosophe de Louvain, un phénoménologue), a vraiment essayé de contribuer, a essayé de réfléchir à plusieurs endroits, notamment dans, je dirais, deux ouvrages : dans un des cahiers du Grif, et dans un ouvrage collectif avec Evelyne Pisier et Elini Varikas [NDLR : Les Femmes de Platon à Derrida : anthologie critique] sur la place des femmes en philosophie.

 

On peut dire plusieurs choses là-dessus : le premier problème, c'est que, bon, on l'a dit, les femmes sont absentes. Alors, dans ces deux ouvrages et particulièrement ici dans Les femmes de Platon à Derrida : anthologie critique, ces trois philosophes font une espèce d'état des lieux finalement de ce que les hommes philosophes ont pu dire des femmes. Alors, alors au-delà de tout ce qu'on peut dire sur le sexisme dont certains font preuve, enfin pas tous mais tout de même, dont certains font preuve en tout cas ; elles essayent de rassembler comme cela et de faire des espèces de synthèses, des fiches de lecture de - finalement - la place des femmes chez ces philosophes, qui sont des philosophes du canon. C’est très intéressant je pense d'aller voir aussi finalement, même en tant que philosophe classique.


La sexuation, une question de femme 

Globalement, ce qu'on peut en dire - en tout cas ce qu'elles en disent dans la préface - c'est que, de manière générale en philosophie, la question de la sexuation se présente toujours comme une question de femme. C'est-à-dire que les hommes sont les sujets de la philosophie, mais sont des sujets qui n'ont pas de sexe, c'est-à-dire qu'ils sont neutres, objectifs, cohérents, etc. Ce fameux sujet comme ça, un peu autonome, qui est dénoncé par plein de philosophes, et pas que les philosophes féministes bien entendu, mais que les femmes sont les seules finalement qui ont un sexe. Les femmes sont les seuls êtres sexuels de la philosophie. Elles le sont dès qu'on parle de sexe, on parle de femme.

 

Le premier autre

La deuxième chose qu'on peut dire, c'est que les femmes sont aussi le premier autre, c'est-à-dire que elles servent – elles sont très utiles en fait aux hommes – en philosophie puisqu'elles permettent aux hommes, dans cette dialectique hégélienne, de prendre conscience d'eux-mêmes, donc de pouvoir être ces sujets de la philosophie neutres, tout à fait désincarnés, et qui peuvent comme ça, penser à partir de rien, même pas penser en « je », mais penser dans une espèce de nous majestif, de ne pas prendre de position. Tout ça leur est possible parce que les femmes ont pris la fonction d'être justement celles qui ont un corps, celles qui ont un sexe et qui sont ce premier autre. C’est une des choses que j'ai appris en lisant ce bouquin : c'est que, finalement, l'exclusion des femmes ou le déni, leur absence est la condition de possibilité du discours philosophique. Que sans ça, en fait, le discours philosophique ne peut pas exister. Il y a là quelque chose de très intéressant parce que leur absence est nécessaire à l'existence philosophique.

 

Alors, je reprends ici, par exemple, les mots de Barbara Cassin qui nous dit qu’il n'y a pas de philosophes femmes dans l'histoire de la philosophie d’Hypathia à Hannah Arendt, comparé à celui des philosophes, mais s'il y en a, celles qu’il y a – les rares femmes qu’elles sont - si on les prend ici et maintenant, aujourd'hui, ne font pas tout à fait lire la même histoire de la philosophie.

 

Alors, la deuxième chose intéressante ici, sur l’exclusion des femmes : quand il y a des femmes – elles existent – mais dans une position tout à fait inconfortable qui est  à la fois celle de premier autre nécessairement, elles font fabriquer une autre histoire de la philosophie.

 

Et cela va inspirer la deuxième vague, en tout cas des femmes philosophes, comme Barbara Cassin, Françoise Collin, ou même comme Simone de Beauvoir en fait, qui vont s'intéresser à creuser un sillon philosophique, qui à la fois fasse partie de la philosophie, mais qui est à la fois est également quasi dans une impossibilité de s'inscrire dans la philosophie.

 

Des philosophes lucides

D’autres choses également que l’on peut soulever quant à l’absence des femmes en philosophie :

 

Il y a ce fameux article, paru dans le cahier du Grif n°46 (1992), de Geneviève Fraisse, qui s’appelle « La lucidité des philosophes », où elle dit que finalement les hommes, ces hommes philosophes, savent très bien, en fait, ce qu'ils sont en train de faire, c'est-à-dire qu'ils savent très bien qu'il gomment la place des femmes en philosophie , mais qu'en même temps, il y a comme une nécessité à ne pas leur laisser cette place et ils savent très bien que s’ils leur laissent une place, tout un champ en fait va devoir s'ouvrir.

 

Alors ça, c'est très intéressant. Et on voit que c’est ce qui est en train de se passer d'ailleurs. Quand, au Congrès de philosophie féministe à Paris, on voit effectivement que s'ouvre un champ dans lequel les hommes doivent reprendre position, c'est-à-dire ne peuvent plus rester, comme on dirait maintenant, dans leur « zone de confort ».

 

"Ecrire au féminin"

Il y a peut-être encore d'autres petites choses qu'on peut dire sur la place des femmes - en tout cas l'absence ou la non-place des femmes en philosophie.

 

Par exemple, toujours dans le cahier 46, Jeanne-Marie Gagnebin dans un article intitulé « Les joueuses de flûte, les sages-femmes et les guerrières », dit, à propos de la place des femmes en philosophie : « je voudrais plutôt questionner la constitution du discours philosophique, posant ainsi comme hypothèse qu'il s'était constitué autour d'un double contrôle du féminin. Il l’exclut en le déclarant impropre à philosophie. Il l’admet quand il peut le subordonner à une valeur plus haute. »

 

Alors ça, c'est autre chose de très intéressant qui fait sans doute référence aussi à des éléments de contexte dont je n'ai pas parlé : c'est que dans les années 1980 -90, on va avoir tout un courant en littérature ou en philosophie d’« écrire au féminin », « philosopher au féminin ». Donc pas philosopher comme féministe ou ou écrire comme féministe, mais philosopher au féminin dont vont s'emparer certains philosophes dont Derrida, Deleuze, etc. Cela va se passer en littérature et en philosophie. Et dans ce cahier, il va y avoir beaucoup d’adresses à ce courant, et ce que les féministes globalement vont dire, c'est : c’est très gentil de s'intéresser au féminin mais en fait, ce que vous faites, vous ne vous intéressez qu’à un féminin qui n'est absolument pas lié à nos à nos vies, mais à un féminin complètement mythique, à ce que Simone de Beauvoir pouvait appeler « l'éternel féminin », c'est-à-dire à quelque chose qui - de nouveau - sert en fait la philosophie masculine dans un moment où elle-même se sent relativement en crise, et où elle devrait finalement, grâce au féminin, pouvoir reprendre pied.

 

"Devenir femme"

Par exemple, Collin s'adresse à Gilles Deleuze, dans Mille plateaux de Deleuze et Guattari, au plateau qui s’appelle « Devenir femme ». Colin dit : « la philosophie a elle-même entamé son « devenir femme » dans les thématiques du non-un, de la différence ou de l’adifférence, de la dissémination, de la passivité, de l'accueil, de la réceptivité, de la vulnérabilité, du « pas toutes » de l'indéfini, de l'altérité radicale, mais cet hommage indirect rendu au féminin, dont on comprend qu'il puisse paraître gratifiant pour les femmes, est-il pour autant une reconnaissance des femmes elles-mêmes  ? » Et bien, les féministes vont dire : non, on ne va pas se faire gruger mais, en même temps, elles sont bien démunies pour répondre. « La féminisation de la vérité n'est-elle pas un nouvel avatar de l'éviction des femmes, selon une procédure non violente de séduction. » Là, Collin est extrêmement lucide en fait sur ce qui est en train de se passer.

 

Une généralisation de l'inférieur

Quand Derrida utilise la métaphore du féminin dans son oeuvre comme une étape provisoire, pour finalement faire de la philosophie autrement, comme pour Nietzsche la déconstruction implique une étape de généralisation de celui de deux opposés, considérés par les métaphysiques comme hiérarchiquement inférieurs ou quand Derrida parle d'écriture au féminin, cela correspond à ce geste de généralisation de l'inférieur. Ce à quoi répondent les féministes, elles vont dire : on comprend très bien cette position philosophique comme étape provisoire, mais le problème c'est que cette généralisation du féminin jusqu'à présent n'a servi qu'aux hommes.

 

Voilà un exemple de comment finalement les femmes ou le féminin en philosophie continuent à être le premier autre, c'est-à-dire quelque chose qui va servir en fait à la philosophie des hommes. « Donc les femmes ne sont pas davantage devenues des philosophes à cause de ce devenir femme de la philosophie » et Collin va, je trouve, ici, résumer les choses dans une très belle formule : « la majoration d'une catégorie de pensée laisse la minorité sur laquelle on l'a prélevé à sa minorisation. » Je trouve que c'est extrêmement bien dit, et ça raconte extrêmement bien en fait ce qui se passe, ce qui continue à se passer d'ailleurs dans les départements de philosophie où il n’y a pas d'institutionnalisation de la philosophie féministe pour moi en Belgique francophone. Il y a maintenant, de plus en plus, des doctorantes qui font de la philosophie féministe, certaines profs, certains profs, qui en font, mais ils le font parce qu'ils sont déjà inscrits quelque part. Ils ne le font jamais en activité principale. Donc faire de la philosophie féministe, c'est toujours comme une espèce d'activité accessoire, comme si cela ne pouvait jamais être en soi suffisant pour faire de la philosophie. Cela ne va jamais être aussi bien considéré qu'une qu'une discipline qui est une discipline d'homme au départ. Et peut-être que, de temps en temps, une femme le fait elle le fait bien mais, mais la hiérarchie du genre, ou les rapports sociaux de sexe continuent à être extrêmement agissants, en fait. Tant dans la matière elle-même, dans ce qu'on transmet, que dans la manière dont l'institution permet de faire exister des matières comme ça.


Castratrices, moralisatrices,...

Rosi Braidotti que nous avons rencontrée au Congrès de philosophie féministe, une pionnière, dans un autre cahier du Grif, le n° 30, nous dit : … « dans le discours contemporain, le féminin occupe la place très incommode, et pourtant vitale, de signe d’incomplétude, des limites assignées à la rationalité instrumentale masculine chez Gorz, au méta-récit de légitimation occidentale chez Lyotard, à la pensée philosophique chez Derrida, même au projet marxiste de Marcuse, et au phallocentrisme chez Lacan. La logique post-moderne est sur ce point d'une clarté absolue : d'une part, elle accuse le féminisme d'être moralisateur et castrateur - comme quoi tout ça n'est pas nouveau, hein - et de toute façon, déjà mort. D'autre part, elle revendique le droit au féminin pour les hommes. » Donc voilà aussi une des raisons pour lesquelle la philosophie féministe a vraiment du mal à exister dans le département. C’est qu'en fait, les féministes sont toujours vues comme castratrices, moralisatrices.

 

Et on voit d'ailleurs que cette polémique du woke reprend aussi en fait toute cette rhétorique-là. Alors le woke, ce n'est évidemment pas que les féministes, mais ça concerne aussi les féministes. Que dit-on quand on parle des wokistes : que c'est un nouvel ordre moral, la tyrannie du bien, etc. Contrairement à l'idée des Lumières, mais qui a elle-même engendré quand même toute une série d'exclusions.

 

Ce devenir femme - pour terminer sur Braidotti – « ce devenir femme de la culture est proposé comme une mesure égalitaire mais pour moi il n'est pas évident, et surtout je ne comprends pas en quoi, il améliore la condition concrète et la place des femmes réelles. » Voilà, ça, ce sont vraiment des manières de faire féministes, c'est-à-dire, comme pouvait le dire justement quelqu'un comme Jacqueline Aubenas dans les Cahiers du Grif… On a célébré les 50 ans des cahiers du Grif… Au moment où elles écrivaient avec Marie Denis, avec Françoise Collin, avec Hedwige Peemans-Poullet,… On leur demandait si elles faisaient de l'écriture du féminin et elles disaient : « nous ne trempons pas notre plume dans nos vagins ou dans nos utérus ». Ce n'est pas de ça dont il est question. Nous écrivons à partir justement de cette posture réflexive de qu'est-ce que ça peut vouloir dire être une femme qui écrit, ou qu'est-ce que ça veut dire vouloir être une femme qui fait de la philosophie, à partir du moment où on comprend qu'être une femme, c'est forcément appartenir à une catégorie de minorisation.

 

Voilà. Et donc, je pense qu’on pourrait écrire beaucoup, et on a déjà écrit beaucoup, et donner pas mal d'heures de cours là-dessus : sur la place - l'absence - des femmes.

 

Les femmes ne sont pas arrivées

Donc attention, je pense, que : attention à cette idée féminin / féministe, attention à la manière dont le canon rejoue sans cesse les majoritaires par rapport aux minoritaires, et quand bien même comme dans une philosophie comme celle de Deleuze et Guattari,  où il y a ce jeu entre majoritaire et minoritaire, on voit que le féminin, finalement, n’est même pas suffisant pour appartenir à cette catégorie du minoritaire. Donc ça, c'est aussi très interpellant chez Deleuze et Guattari. Moi, j'ai été, durant mes études en philosophie à l'ULB, une grande lectrice de Deleuze et Guattari, ce sont vraiment eux qui m'ont fait aimer la philosophie. Quand je les relis maintenant, je me dis que c'était quand même vraiment des hommes de leur temps, en effet ! Donc le devenir femme n'est pas … On sent qu’on n’est pas encore dans cette catégorie du minoritaire dans lequel ils voudraient faire transgresser l'histoire de la philosophie. Exactement, comme ce que dit, en fait, Simone de Beauvoir dans l'introduction au Deuxième sexe : les femmes ne sont pas arrivées, c'est-à-dire leur dépendance n'est pas arrivée donc, elles n'ont même pas d'origine en fait, elles n'existent même pas encore comme dominées. Elles n'existent pas puisqu'elles sont dans une exclusion, dans une invisibilité, qui permet aux autres d'exister.


Une discipline de prestige

Et donc, le travail est très lent, très long, et en particulier dans des disciplines comme la philosophie qui a une image d'elle-même comme étant une discipline de prestige, une discipline aussi de hauteur, de celle qui, à un moment est au-dessus des autres, qui serait plus que celle des autres, etc. Je pense que la philosophie se donne aussi une image d'elle-même extrêmement arrogante et qui contribue aussi à faire que les femmes n'ont pas encore vraiment leur place, peu de place en tout cas. Que ce soit de manière très concrète, c'est-à-dire dans les départements de philosophie, mais aussi de faire étudier, de transmettre des femmes philosophes, ou alors même pas que des femmes, en tout cas des philosophies qui transgressent l'ordre du genre. Je pense que tout ça est un travail qui est encore très difficile dans les départements de philosophie qui, malgré tout, restent des départements qui ont du mal à sortir de cette image qu'ils ont de la philosophie. Même, si ceux qui ceux qui habitent ces départements peuvent être des gens extrêmement progressistes - je ne pense pas que la majorité de mes collègues en philosophie soient des conservateurs - mais je pense qu'ils sont quand même très contaminés par cette image-là de la philosophie.



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