Elina Salminen
Peintre
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Metaxu : Pourrais-tu nous parler de ta pratique de peintre ?
E. S. : Je me considère comme peintre mais un dans un sens large car ma pratique irait plutôt vers des choses plus tridimensionnelles que, par exemple, vers le dessin. A la base, j'ai fait beaucoup de peinture à l'huile, puis j’ai commencé à travailler avec des supports en bois que je construisais moi-même. Sortes de châssis dans lesquels je sciais des formes différentes, que je couvrais ensuite de toile pour enfin peindre à l’intérieur. J’ai inventé cette technique que j’utilise depuis des années maintenant. Et je continue à peindre à l’huile aussi. Et puis récemment, pour des raisons familiales, j'ai fait un peu de dessin parce que je n'ai pas tout le temps eu accès à mon atelier, ni le temps de venir peindre. Ensuite, il y a un autre volet de mon travail, qui concerne plutôt des expositions : quand je peux exposer quelque part et faire des œuvres in situ, ou travailler directement sur les murs ou dans le plafond, je fais ça avec plaisir mais c’est rarement possible car on a souvent trop peu de temps avant l'exposition. Cela ne suffit pas pour installer un grand tissu ou quoi que ce soit mais parfois c'est possible et j'aime beaucoup ça. Il y a donc plusieurs volets à ma pratique.
Metaxu : Je vois, par exemple, sur une des descriptions de ton travail, que tes « peintures et installations sont des regards sur le vide, l'absence, le silence, avec comme matière la couleur, ce présent absent, visible intouchable ». Tu as donc l'air d’être souvent dans un entre-deux ? Matériel-immatériel, forme-signification, immatérialité de la couleur, rendre visible l’invisible, … ?
E.S. : Oui, cela me fascine pas mal cela, au niveau de la couleur, ou plutôt de la lumière colorée parce que cela fait partie de cette technique-là dont je parlais où je pose une toile assez transparente qui va transporter ou véhiculer la couleur qui est en dessous. C’est assez difficile à expliquer mais je trouve très fascinant ce côté-là de la couleur, qui est visible mais que l’on ne peut pas toucher. J'aime bien les entre-deux en gros. Parfois, je parle également du désir, des tensions comme ça, qui existent dans la peinture, sur la toile, dans les compositions, mais aussi concrètement dans la tension de la toile. Après, il y a le regard de celui qui regarde la peinture, et puis il y a des philosophes qui parlent de la peinture qui les regardent - pour citer quelqu'un que j'aime bien lire. Donc oui, l’entre-deux est un endroit qui m’intéresse de beaucoup de points de vue.
Metaxu : Et nous avons précisément des exemples de tes œuvres derrière toi ?
E. S. : Oui, il y a des exemples de cette couleur qui se répand sur la toile alors que la toile n'est pas peinte. Cette zone colorée est en fait une forme de bois découpée à l'intérieur.
Metaxu : Avant d’en arriver à cette pratique personnelle, en ce qui concerne ta formation, tu as étudié à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles mais également auparavant la littérature et plus précisément la poésie ?
E. S. : Oui, j'ai étudié la littérature française et je me suis spécialisée la dernière année en poésie du XXeme siècle. A l'époque il n’y avait pas encore de master en 5 ans en France donc j'ai fait deux mémoires. Le premier mémoire de maîtrise de la 4e année portait sur un texte – plutôt de la prose - puis le mémoire de la dernière année portait quant à lui sur la poésie. Je me suis toujours intéressée à - je pense autant en poésie ou en littérature qu’en peinture - aux matériaux de construction. La poésie étant du langage tellement dense, il y a moyen de de l'examiner - en cas de très bonne poésie - un peu jusqu'à à l'infini, pour voir de quoi c'est fait, comment, pourquoi… Donc j'avais choisi une approche stylistique pour avoir des outils de grammaire et de linguistique, mais aussi l'autre pied, côté littérature, et un peu moins scientifique. Et c'est un peu la même chose en peinture.
Donc comment j'en suis arrivée à cette technique ? Comme beaucoup de peintres, en étudiant, on commence à chipoter avec l'objet peinture : châssis, agrafes, tissu, de quoi c'est fait… C'est par là que j'en suis venue à peindre un châssis que j'avais entoilé avec autre chose qu'un une toile enduite ou très très opaque. J'avais mis du tissu transparent. Souvent, cela se passe juste sur une table ; il y a des objets, des choses… on les superpose…et puis, à un moment donné, on voit qu'il y a quelque chose qui apparaît. On va un peu plus loin et… Voilà.
Metaxu : Trouves-tu que l’école t’offrait déjà des opportunités ou comment s’est passée ta professionnalisation ?
E. S. : Moi, j'ai beaucoup reçu de l'Académie, autant au niveau du réseau - évidemment on se fait déjà du réseau quand on est là-dedans, mais en plus mes professeurs étaient particulièrement investis pour nous aider. Il y a également eu des expositions qui ont été organisées par des étudiant.e.s fraîchement diplômés de l’Académie, il y a eu des prix, et puis j'avais la chance d'avoir cette résidence qui est destinée aux étudiants sortant des écoles d'art donc à la fondation Moonens qui est juste à côté des Beaux-Arts de Bruxelles. Évidemment, c'était la situation idéale pour sortir des études que de se trouver là, et de rencontrer encore plus de gens. Et de se trouver déjà dans des cadres qui facilitent les rencontres, les ventes,…
Metaxu : Tu as gagné plusieurs prix à ta sortie, as-tu pu faire d’autres résidences ? Qu’en était-il dans ce cas des rédactions de dossier ? L’école t’avait-elle formée à cela ?
E. S. : Pour moi, la rédaction de dossiers est quelque chose de très difficile et laborieux. Je ne le fais toujours pas beaucoup, et pas du tout même en ce moment pour des raisons familiales. Je pense qu'il y a un rapport à l'écriture : c'est laborieux d'écrire et, personnellement, je trouve ça extrêmement difficile de me projeter parce qu'il y a toujours cette question de projet. Il faut se projeter un an en avant, 3 ans en avant dans certains cas (il y a des bourses qui durent 3 ans dans certains pays) et savoir circonscrire sa pratique aussi précisément pour moi est impossible. J’y arrive à moyen terme, à remettre des dossiers pour postuler pour une résidence ou des choses qui se passent dans les 6 mois qui suivent, mais je trouve cela difficile de planifier un projet à long terme.
Metaxu : Et que penses-tu des résidences qui présentent une forme d’agenda quasi politique, pour lesquelles tu dois travailler en intégrant une certaine thématique qui est un peu le thème du moment, par exemple l’écologie ou le féminisme ? Certains artistes rêveraient d’avoir une liberté totale pour développer leur projet et se retrouvent parfois face à des propositions posant un cadre déjà un peu orienté, dans une visée un peu utilitariste de l’artiste. As-tu déjà été confrontée à cela et qu’en penses-tu ?
E.S. : Oui, cela m'énerve. Je ne postule pas. Je ne peux pas postuler à quelque chose qui n’est pas dans mes envies et je ne vois pas pourquoi on propose des pistes comme ça ou des cadres déjà faits. Nous savons très bien les faire nous-mêmes nos cadres et nos concepts ou contextes de travail. Donc je passe à côté. Je regarde les appels à candidature, je lis et je me dis ok ce n’est pas pour moi. Donc cela ne me pose pas de problème parce que je ne me mets pas là-dedans c'est tout. Mais c'est vrai qu'il y a des phénomènes de tendances que l’on choisit de suivre ou non. Chacun fait à sa manière et puis il y en a qui sont naturellement aussi dedans - tant mieux pour eux.
Metaxu : Et comment tu gérais les résidences au début et le fait de devoir quitter ton logement ?
E. S. : je n’ai pas tellement voyagé partout dans le monde : j'ai eu des résidences à Bruxelles donc j'habitais chez moi mais je travaillais à l’atelier à Bruxelles. Puis j'ai eu des résidences qui ont été à la campagne en Belgique donc là parfois je passais des semaines ailleurs ou alors à l'étranger mais cela n’a pas excédé un mois. C’était faisable. Je n’ai pas été pendant plusieurs mois à l'étranger parce que j'ai une famille donc déjà à l'époque, je ne pouvais pas m'absenter plus d'un mois de Bruxelles.
Metaxu : Tes résidences t’ont permis de maintenir une continuité parce que tu gardais ton atelier avec les contraintes techniques que tu connaissais aussi ?
E. S. : Oui
Metaxu : Et durant tout ton parcours, il y a-t-il eu des moments clés ou des rencontres-clés ?
E. S. : Il y en a eu certainement plusieurs mais pour moi, l’apport le plus grand ça a vraiment été l'Académie des Beaux-Arts. Après, il y a toutes les rencontres amicales professionnelles évidemment qui se sont développées, et qui, dans certains cas, ont abouti à des collaborations sous forme d'expositions.
Metaxu : Et si je te pose la question du féminin, est-ce que pour toi un jour apparu dans ton dans ton parcours ? Par exemple est-ce qu'un jour cela aurait pu être perçu comme un frein le fait d'être une femme dans ce milieu-là ?
E. S. : Je n'ai pas croisé de d'obstacle comme ça donc rien de tel n'est arrivé jusque à mes oreilles. S’il y a eu quelque chose comme cela - mais je ne pense pas - dans tous les cas je ne suis pas au courant. Si j’ai pu me poser certaines questions quant à une forme de discrimination, ce sont peut-être plus des questions en rapport avec la nationalité. Je suis finlandaise donc parfois là il y a bien des quotas d'artistes belges et des quotas d'artistes étrangers qui existent et qu'on sous-entend un petit peu quelque part. Cela oui, plus que la question du féminin je dirais. Par exemple, je candidate à un prix mais je vois qu'à chaque fois les lauréats ont des noms plutôt français - enfin belges francophones - et je me dis que voilà la politique du concours est du type que les étrangers ont peut-être moins de chance. J’ai plus rencontré ce genre de choses que le fait d'être une femme.
D’un autre côté, il y a tout le côté pratique et la vie d'artiste en tant que femme surtout étant maman. Je suis mère de deux enfants donc là, évidemment, il y a plus à gérer mais c'est un petit peu un autre sujet.
Metaxu : Et suite à tes nombreuses années d’expérience en tant qu’artiste professionnelle (8 ans), aurais-tu 3 conseils pour artiste débutant.e à donner, quels seraient-ils ?
E. S. : 1) Travailler : si l’on ne travaille pas, il n’y aura pas tellement de suites. Il faut travailler mais je pense que cela vient naturellement pour les personnes qui sont motivées, qui sont censé.e.s être porté.e.s sur ces chemins-là. 2) Cela serait un conseil que moi-même j'ai reçu quand j'étais étudiante et c'était d'être vigilante par rapport aux phénomènes de mode, de faire attention aux tendances et de ne pas aller dedans, et 3) Il ne faut pas oublier qu’être artiste c'est aussi une carrière. Selon moi, il y a deux volets : la carrière et le travail d'artiste solitaire, vraiment pure. Il y a l'artiste qui passe sa vie dans une cabane dans la forêt, personne ne le connaît mais il a peut-être trouvé la vérité en peinture ; et puis l'autre extrême c'est le papillon de vernissage qui va partout qui connaît tout le monde qui qui parle avec tout le monde qui est super à la mode, etc. Il faut faire un mélange des deux, et chacun.e a son équilibre personnel. Quand on parle de carrière, cela sous-entend qu’il y a énormément de monde, il y a beaucoup d'artistes et tout le monde veut avoir sa part dans ce monde où il n’y a pas assez de place tout à fait pour tout le monde. Donc cela veut dire que la compétition parfois est dure et des amitiés qui peuvent des amitiés fragiles peuvent y passer. C’est un milieu qui est assez dur par moment de ce point de vue-là. Donc être préparé à être sociable, mais en même temps ne pas oublier que le plus important c'est quand même la pratique solitaire et la recherche. Mais bon, chacun fait ses proportions : un peu de carrière / beaucoup de recherche, des grandes vérités ou alors pour certains un peu l'inverse. Je pense qu'on est obligé de d'avoir quand même un peu le côté carrière aussi pour s'en sortir si on veut vraiment en faire son métier.